MBaudier

Cela ne sera pas pour aujourd’hui. Quelques amis avec des enfants ou dans l’attente d’un ont réussi à être intégrés dans le bateau partant aujourd’hui, mais pas nous. Je suis allé aujourd’hui à l’ambassade afin d’avoir des informations plus précises. Nous nous sommes réenregistrés (les deux amies avec qui je loge, plus un ami et son frère) mais les gens de l’ambassade nous ont clairement dit qu’il ne fallait pas espérer partir avant le courant de la semaine prochaine.
En effet, en tant que résidents nous passons après les touristes. C’est la règle dans ce genre de cas car, en théorie, le touriste de passage dans un pays et beaucoup plus déraciné que celui qui y vit déjà. Evidemment dans le cas du Liban c’est un peu paradoxal, vu que l’immense majorité des touristes sont en réalité des binationaux venus rendre visite à leur famille et donc a priori moins isolés que nous.
A l’ambassade, les gens ont quasiment pleuré quand je les ai remerciés et félicités pour leur travail. Ils m’ont dit que j’étais un des premiers si ce n’est le premier, et qu’ils se faisaient insulter toute la journée…

L’attente va donc continuer, encore plus dure pour mes amies que pour moi qui ait la chance de travailler et le sentiment d’être utile ici. Elles vont certainement continuer le super boulot qu’elles font avec nos amis Feras et Rayas : rassembler des vêtements et des jouets auprès pour les réfugiés auprès de la population et les distribuer à ces malheureux.

Caroline est partie hier accompagner un détachement de police et forces spéciales françaises venues chercher des français dans le sud. Elle est avec son patron et des tas de journalistes internationaux, donc en sécurité. Gentiment, elle nous a tenu régulièrement au courant et elle est désormais de retour à Beyrouth pour préparer son reportage. Nous avons hâte de la voir pour qu’elle nous raconte l’état du sud.

De mon côté, je suis arriver à bricoler un truc incroyable avec mon ordinateur portable et mon téléphone cellulaire afin d’avoir accès à Internet via une connexion modem classique. Et ça marche !!! C’est affreusement lent et franchement c’est certainement plus pratique d’aller à l’Internet café qui est à une dizaine de minutes de l’appartement… Mais j’ai pris cela comme une victoire de plus dans la lutte pour continuer à avoir une vie normale. J’envoie cet article par ce moyen. C’est amusant, cela me rappelle le tout début de l’Internet au milieu des années 90, quand on attendait patiemment qu’une page veuille bien se charger.

Du côté militaire, les israéliens commencent à prendre pied au sud. La diplomatie s’active un peu, mais on sait très bien que rien ne bougera sans les américains. Certains parlent d’encore une semaine avant un cessez-le-feu, mais comment savoir. Ni le commandement israélien, ni celui du Hezbollah n’en savent rien eux-mêmes car tout dépendra d’avoir la bonne configuration au bon moment afin qu’on puisse arrêter cette absurdité sans que personne ne perde la face. Ils en sont là actuellement, la priorité est de ne pas perdre la face, car bien peu croient qu’un côté ou l’autre retirera un quelconque avantage de cette guerre. Pendant ce temps le pays continue de s’enfoncer dans le chaos et la misère. Les réfugiés affluent. Les télévisions ont été bombardées ainsi que des relais de téléphones mobiles. Un réseau de mobiles est désormais hors d’usage (heureusement pas le mien). Ils ont recommencé l’artillerie de marine cette nuit alors qu’il n’y en avait pas eu depuis plusieurs jours. Impossible de ne pas être réveillé dans ce genre de cas, mais on se rendort bien vite. Encore une fois, vous ne pouvez pas imaginer à quelle vitesse on s’habitue à la guerre.

S’il vous plaît, parlez de tout cela autour de vous. Vous qui êtes sensibles aux événements car je suis coincé ici, aidez à ce que les gens en Europe n’oublient pas ce qui se passe ici. Cet immense gâchis qui va encore faire reculer la paix de plusieurs décennies.
Je pense beaucoup à l’Europe ces temps-ci. Le hasard veut que l’un des rares T-shirts que j’ai emporté dans mon sac d’évacuation soit un T-shirt Eurolines avec écrit dessus « Faites l’Europe pas la guerre ». Je me sens parfois un peu ridicule les jours où je le porte dans Beyrouth, mais j’assume. Si nous y sommes arrivés, il n’y a AUCUNE RAISON pour que eux non plus n’y arrivent pas. Ne l’oublions pas, car il n’y a que nous, européens, qui pouvons leur prouver.