MBaudier


Le probleme russe (Russie)

Posté sous Voyage par Mathieu, le 25/02/2006

J’ai donc quitte Riga en Lettonie par le train de nuit pour Moscou. J’etais dans un wagon de troisieme classe, les fameux platzkat issues de l’epoque sovietique dans lequels les compartiments ne sont pas fermes, et que j’avais pas mal pratique au Kazakhstan et en Ouzbekistan il y a quelques annees. Comme vous pouvez l’imaginer, l’ambiance est assez folklorique, au sens propre du terme, avec des familles entieres, des petits vieux et des voyageurs solitaires qui pour une nuit forme une communaute improbable.

Des l’arrivee dans le train on nous fournit une masse de paperasserie a remplir pour le passage de la frontiere, notamment un papier important que l’on doit rendre a la sortie du territoire et sur lequel divers tampons et formalites d’enregistrement vont s’accumuler tout au long du voyage en Russie. Ce papier est uniquement en russe (si tu ne parles pas suffisamment russe tu n’as qu’a pas venir chez nous…) et je commence a sympathiser avec les gens autour de moi alors qu’ils m’aident a le remplir.

Nous arrivons a la frontiere au debut de la nuit et soudainement le silence se fait dans le wagon. La tension est palpable. Seuls les enfants continuent a se comporter comme si de rien n’etait, mais ils se font vite rappeler a l’ordre par leur parents nerveux. Le wagon est rempli de russes comme de lettons, mais on sent que tous ont peur… Le passage de la frontiere prend a peu pres deux heures en tout (controle de sortie de l’UE par les lettons, puis trajet d’une demi heure dans une sorte de noman’s land et enfant controle par les douaniers russes). Dans mon cas il se passe plutot bien, meme si un douanier me demande un type de papier qui existait sur les anciens visa russe mais pas sur le nouveau. J’avais remarque cette difference quand j’avais recu le visa et je m’etais assure aupres de mon agence de voyage qu’il n’y avait pas de probleme. Je peux donc lui tenir tete en confiance (enfin, une confiance toute relative) et il n’insiste pas. En revanche dans la cellule voisine, deux femmes se sont fait ouiller leurs sacs et les douaniers ont trouve de la contrebande. Ils les emmennent fermement et le train repart. Dans les minutes qui suivent tout le monde se retrouve dans la zone fumeur au bout du wagon a tirer nerveusement sur sa cigarette et a se raconter ses histoires de passage de frontieres. Une femme me dit: „Vous voyez j’ai tous les papiers, tous les documents, je n’ai rien a me reprocher, mais pourtant a chaque fois que je rentre dans ce pays je suis stressee a en trembler.“

Bienvenue en Russie!

Mon pote Nicolas est venu me chercher a la gare le matin a notre arrivee a Moscou (nous sommes le samedi 11 fevrier). Apres etre passe a son bureau puis chez lui pour me debarbouiller il m’entraine dans la visite d’un salon en banlieue ou il veut commander un certain nombre de choses. Nous prenons le metro pendant quarante minutes jusqu’au bout d’une ligne. Arrive la, nous errons pendant une demi-heure a la recherche d’un bus pour nous emmener jusqu’au salon. Impossible de le trouver et les gens sur place se refuse litteralement a nous aider. Finalement nous prenons un taxi (illegal, mais c’est normal) avec lequel nous traversons d’immenses blocs de HLM pour rejoindre le centre d’exposition en bordure de l’immense autoroute qui entoure Moscou (l’equivalent de l’A86 a paris). Enfin arrive apres deux heures de trajets nous nous faisons jeter sans menagement a l’entree car ils sont en train de fermer. Revenez demain…

Je passe une soiree tranquille avec Nicolas et son amie Lena et le lendemain me voila de nouveau sur les routes. En effet j’ai ete oblige de payer deux nuits d’hotel pour obtenir mon visa et j’ai choisi de le prendre le dimanche et lundi soir a Suzdal et Rostov Veliki deux villes de l’Anneau d’Or, qui est cet ensemble de villes historiques au nord-est de Moscou. Elle constituait le coeur de la Russie au milieu du Moyen Age entre le declin de Kiev et la montee en puissance de Moscou.
Pendant trois jours je m’enfonce donc seul dans la Russie profonde. La temperature est de -15 degres mais il fait plutot beau. Honnetement il s’agit de la partie la plus difficile de mon voyage. Apres les deux jours de voyage pour aller de Vilnius a Moscou, je me serais bien pose un petit peu, mais je suis oblige de repartir directement.
Mais surtout c’est vraiment fatiguant de voyager en Russie de facon independante. Surtout en hiver. Les horaires de bus, les directions, etc. Ne sont jamais clairs. Les gens en general et les guichetiers en particulier sont tres desagreables. Quasiment personne ne parle anglais et ils n’ont pas envie de perdre du temps a parler avec quelqu’un qui baragouine le russe. Des personnes bien informees m’ont compare cela avec ce que ressentent les touristes qui viennent en France et essaient de parler un peu francais…
Enfin, je pars de Moscou vers Vladimir, l’ancienne capitale de la Russie, perchee sur une colline, avec une splendide basilique qui domine l’immense plaine blanche. J’y dejeune, puis finit par atteindre Souzdal. Le bus me largue avec deux trois personnes au beau milieu d’une route. Je les suit et apres avoir escalade un talus, nous arrivons a la gare routiere de Souzdal, un espece de blockhaus perdu au milieu de nulle part. Au loin scintillent les clochers des monasteres de Souzdal. Le soleil s’est couche (splendide!), il fait encore jour mais pas pour tres longtemps.
Personne ne veut me renseigner donc je procede par deduction et je suis les quelques personnes le long d’une longue route bordee d’habitations. L’environnement naturel un peu hostile, redouble ma motivation d’atteindre mon hotel avant la nuit. Clairement, a ce moment precis, je suis assez remonte contre les russes et la Russie. A peine quelques jours que j’y suis et deja je sature de cet espece de foutoir GIGANTESTQUE (la moitie de l’Eurasie quand meme…) et de ce nationalisme omnipresent et pretentieux qui donne envie de leur mettre tous leurs problemes sous le nez et de les faire se bouger!

Mais bon, c’est la Russie, et c’est l’hiver, le temps des contes et de la magie. Je vois arriver un gars d’une trentaine d’annees dans la direction opposee avec en bandouliere un etui d’appareil photo assez moderne (Loewe Pro pour les intimes). Ca sent le touriste. Je l’aborde et lui demande mon chemin en mauvais russe. Il me repond avec un sourire desarmant.
- Vous parlez anglais?
Et il commence a me parler dans un anglais un peu bancale mais utilisable. Un russe. Cependant,
- En fait j’ecris un guide touristique sur l’Anneau d’Or
Je lui tombe presque dans les bars:
- Whaou! Vous etes l’homme que je cherche partout depuis ce matin!
Et il m’indique le chemin jusqu’a l’hotel. Nous pourrions nous quitter la, mais clairement le courant passe bien, et meme si il va prendre un bus a la station d’ou je viens, il relance la conversation:
- Ecoutez, j’ecris ce guide et apparemment vous etes un touriste etranger. Dites moi qu’est-ce que vous pensez de la region et de faire du tourisme ici?
Intuile de vous dire que j’ai de quoi argumenter ma reponse. Et nous commencons a parler de la Russie, de l’ambiance, etc. Il me decrit la xenophobie qui s’est developpee ces dernieres annees et m’aexplique que sa femme, qui est asiatique, se sent de plus en plus mal a l’aise. Un moment il me dit: „La Russie on ne peut que la hair et l’aimer en meme temps.“ Interessante piste… Alors que j’ai mentionne que j’etais francais, il s’anime et m’explique qu’il a ecrit un roman traduit en francais. Chez Actes Sud. Et qu’il est venu en France, invite lors du salon du livre dedie a la Russie. Et il me donne sa carte, m’invitant a lire son livre. Ilya Kotcherguine. J’ai cherche depuis et le livre s’appelle „L’assistant du chinois“ et decrit la vie de la jeunesse apres la chute de l’URSS.

Enchante par cette rencontre inattendue, je me dirige finalement vers Souzdal. Et la, je passe une soire merveilleuse. Feerique. Il neige doucement et il fait nuit. Les eglises aux bulbes dores ou bleus, les petites murailles du kremlin local, cree une ambiance irreelle. Tellement russe qu’on avait oublie que cela existait en vrai. Je fais un bon gros repas traditionnel dans un restaurant desert et m’accorde une longue nuit de sommeil.

Le lendemain je commence par vous ecrire sur mon sejour dans les pays baltes (je vous passe la lutte pour atteindre le poste internet a travers l’administration locale des postes).
Puis je pars pour ma grande mission de la journee. Rejoindre Rostov Veliki, a quelques centaines de kilometres de la. Tout d’abord rejoindre la gare routiere de Souzdal, puis retourner a Vladimir (apres avoir compris l’obscure mecanisme d’attribuition des billets dans la gare de Souzdal). Dans la gare routiere de Vladimir je n’ai evidemment aucun moyen de savoir comment rejoindre Rostov Veliki, mais a l’aide de cartes j’ai deduit que depuis Ivanovo et Yourev Polsky (qui sont accesibles directement depuis Vladimir) j’ai une vague chance de pouvoir attraper un moyen de transport vers Rostov Veliki. Ivanovo et clairement plus gros, mais Yourev Polsky est plus proche, donc au pire je pourrai me rattraper sur un taxi. Je tente donc le tout pour le tout et vais a Yourev Polsky. Sur la route j’assiste a un des plus beaux couchers de soleil de ma vie, sur la plaine enneigee. Nous arrivons a destination et force est de constater que j’ai joue… et que j’ai perdu. Il s’agit d’un ridicule petit village qui n’a meme pas de gare routiere. Il est bien sur la ligne de train, mais la gare est une petite maisonette et il n’y a que quelques trains qui daignent s’y arreter. Bref, je commence a negocier avec le taxi qui m’a emmene a la gare. C’est un jeune gars qui ecoute du hip-hop russe. Apparemment il ne semble jamais etre alle aussi loin, mais il flaire la bonne affaire. Il va demander a ses collegues taxi combien il devrait me facturer. 1200 roubles. Je negocie 1000 roubles (une trentaine d’euros, sachant que j’ai un hotel paye a Rostov, et qu’il faut bien que je passe la nuit quelque part). Nous partons a fond la caisse dans sa vieille lada sur les routes enneigees. 110km/h sans ceinture pendant pres de deux heures. Certainement la partie la plus dangereuse de toutes ces vacances…

Apres avoir depose mes affaires a mon hotel, je pars me ballader dans la petite ville. De meme que la veille, apres une journee assez atroce, je suis comme envoute par la beaute de ce kremlin (=village fortifie) entoure de maisons en bois, face a un immense lac gele. La plaine est silencieuse, et la lune immense et pleine semble se refleter dans la neige.
Je cherche un bar ou un restaurant mais apparemment c’est mon hotel qui est l’endroit le plus anime de la ville. Je vais donc me poser dans le restaurant. A cote de moi, quatre jeunes hommes dicutent paisiblement. Deux trois autres tables sont occuppees. Alors que je suis la depuis trois quart d’heure, un des types de la tables d’a cote se leve et commence a frapper son voisin, a gros coups de poing massifs qui s’abatte sur la face du gars avec un bruit sourd. Les deux autres se levent tranquillement, et cherchent paresseusement a les separer. Le type arrete de frapper, l’autre a a peine bouge, Une toute petite serveuse s’approche et leur demande ce qu’il se passe: „Vsio normalne (tout va bien)“ lui repondent les gars. „Comment ca tout va bien? Vous arretez de vous battre ou vous sortez!“. Le type s’en va accompagne d’un des autres, qui revient seul quelques minutes plus tard.
Incident clos. Tout va bien. Je me dis que je ne passerai certainement pas mes prochaines vacances en Russie.

J’emploie le lendemain a retourner sur Moscou, et les jours suivants a me reposer et a marcher dans la capitale russe. Je passe mes soirees avec Nicolas parfois accompagne de son ami. Nous rendon notamment visite a Jacques, un francais qu’il m’a presente et qui a fait fortune en Russie. Repas delicieux dans un appartement superbe et decale, entoure de ses superbes amies ukrainiennes et de son acolyte Johnny, authentique Zoulou polyglotte et ancien patron de boite de nuit.

Mon dernier soir a Moscou (vendredi 17), Nicolas insiste pour que nous sortions et apres un diner tres sympa tous les deux il m’emmenne dans une boite „trash“. Evidemment le terme „trash“ est relatif a l’aspect plutot snob de bon nombre des lieux branches, et par rapport a Berlin il s’agit d’un lieu plutot sympathique, avec une ambiance un peu dejantee il est vrai. Apres une soiree memorable, il ne me reste plus qu’a aller directement chercher mon avion (comme deux semaines auparavant, a mon depart de Paris). Epuise j’affronte une ultime fois les transports en commun russe, prenant un metro, puis un autre puis un minibus prive qui semble se diriger vers l’aeroport. Apres les diverses formalites je me retrouve dans l’avion, un gigantesque Iliouchine au plafond etonemment haut. J’y comate pendant tous le vol. L’arrivee sur Budapest est superbe, les collines de Buda, la Danube, le parlement… Mais l’aeroport est lui couvert de brume. Visibilite zero. Un peu tendu, j’attend le contact avec le sol. Il se passe bien, mais l’avion ne semble pas ralentir tres vite. Brusquement le pilon freine a fond. Nous sommes tous projetes en avant (c’est donc a cela que serve les ceintures!), et… tous les sieges inoccuppes se plient en deux dans un fracas etourdissant. Nous sommes arretes, je regarde les deux sieges rabattus a mes cotes. Je ne peux m’empecher de sourire: le foutoir jusqu’a la derniere minute.

Puis je sors de l’avion. Une bouffee d’air chaud m’assaille. Quatre degres au dessus de zero!!

A bientot pour la suite.
Je vous embrasse tous,

Mathieu

PS: surout, si vous pensez que j’ai passe une semaine atroce en Russie, relisez attentivement ce mail. C’etait magnifique, j’ai vu des choses, des paysages, des atmospheres qu’on ne peut certainement voir nulle part ailleurs. J’ai simplement acquis une vue un peu plus realiste sur les russes et la Russie, et c’est cela dont je vous ai egalement fait part.


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