Retour au Liban (I)
Je suis de retour à Beyrouth depuis plus d’une dizaine de jours. J’ai préféré ne pas le signaler trop tôt vu l’instabilité de la situation et afin de pouvoir prendre des décisions en toute sérénité. On y voit désormais un peu plus clair et la trêve semble tenir, même si il n’y a pas vraiment lieu d’être optimiste pour l’avenir. Je reviendrai sur mon analyse de la situation dans de prochains articles, dans celui-ci je ne raconterai que les détails de mon retour. [photos accessibles ici]
J’avais pris quelques jours de vacances dans les Balkans (en Bosnie-Herzégovine et Croatie, quelques photos ici), quand les négociations autour d’un cessez-le-feu ont enfin abouti à la résolution 1701 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Les semaines depuis mon retour en France avaient été difficiles à vivre moralement. Après quelques jours de repos dans mon cher Berlin, j’avais recommencé à travailler avec mes collègues restés à Beyrouth, mais à distance cette fois. C’était vraiement déprimant de les savoir là-bas et de ne pas pouvoir travailler convenablement, ni intégrer les nouveaux qui avaient rejoint mon équipe. De plus des problèmes techniques indépendant de la guerre mais que l’éloignement n’aidait pas à résoudre, nous compliquaient encore plus la tâche, de façon exaspérante.
Tant que la situation restait similaire à celle que j’avais connue (c’est à dire vivable), j’envisageais sérieusement de retourner à Beyrouth au plus vite, mais d’escalade en escalade, cette perspective devenait de plus en plus déraisonnable. Finalement je décidais de voyager un peu en espèrant à mon retour soit un relâchement du blocus, qui m’aurait permis de rentrer, soit l’impossibilité pour mes collègues de travailler faute d’électricité, qui m’aurait évidemment forcé à rester à Paris pour assurer la continuité. Dieu merci, grâce à la pugnacité du gouvernement libanais et à l’efficacité de la diplomatie française un cessez-le-feu a pu être obtenu.
Je saisis l’occasion immédiatement et c’est depuis l’île de Mljet en Croatie puis sur les routes d’Herzégovine que j’organisais mon retour avec les collègues de Beyrouth et Paris qui s’occupent des voyages. Je rentrais de Sarajevo le mardi 15 août au soir et le mercredi 16 en début d’après-midi j’étais dans un avion pour Damas, la capitale de la Syrie, seule voie d’accès vers le Liban.
A mon arrivée à Damas j’ai été frappé par la chaleur sèche qui y règne et qui fait sentir que le désert n’est pas loin. Quel contraste avec l’humidité et la relative douceur de la température qui règne à Beyrouth! Je ne m’étais pas trop soucié du visa car on m’avait assuré que je pouvais en obtenir un à l’aéroport. Malheureusement ce n’était pas aussi simple et les militaires syriens (beaucoup moins débonnaires que les libanais) attendaient de moi certains papiers du consulat de Syrie en France. J’ai alors été traîné de bureaux en bureaux et d’officiels en officiels, rassemblant toutes les compétences en franchissement de frontière que j’ai pu acquérir en ex-URSS (être poli, très souriant et surtout extrèmement patient et infiniment respectueux). Finalement les syriens étaient plutôt sympas et apparemment ils craignent par dessus tout les journalistes. Je tremblais qu’il ne découvre tout mon matériel photo, mais dans l’ensemble mon histoire d’ingénieur habitant au Liban leur plaisait. C’était vraiment comique de voir le contraste avec l’occident (surtout juste après l’attentat déjoué à Heathrow) où l’on cherche des bombes ou des armes, alors que là, c’est vraiment les caméras de télé que l’on craint. Je leur aurait dit que j’avais quelques roquettes Katioucha dans mon sac, cela ne les aurait pas embêté plus que ça. Voilà qui permet peut-être de mieux comprendre la paranoïa d’Israel vis-à-vis des transferts d’armes via la Syrie…
Finalement j’ai pu les attendrir (sans même verser de “pourboires”) et j’ai obtenu un visa de transit. Une voiture et deux chauffeurs m’attendaient à la sortie, et nous sommes partis vers le nord à toute vitesse. Les organisateurs de mon retour préféraient que nous contournions tout le Liban pour rentrer par le nord au niveau de la côte et de Tripoli. L’idée était d’éviter l’engorgement du chemin direct qu’empruntaient tous les réfugiés et de ne pas passer par les zones controllées par le Hezbollah où mon profil n’aurait pas forcément plu. Nous voilà donc à 150 km/h dans une Mercedes noire sur les autoroutes syriennes, partis pour un trajet de 300/400km alors que Beyrouth et Damas sont à moins d’une centaine de kilomètres!
Après avoir viré vers l’ouest au niveau de Homs nous nous engageons dans de petites routes pour finalement rejoindre le poste frontière vers le Liban. C’est là que je réalise que je suis entre de bonnes mains: mon chauffeur connaît strictement tout le monde des deux côtés de la frontière, et nous nous arrêtons tous les 50m pour saluer quelqu’un, prenant parfois un gars avec nous pour quelques centaines de mètres. La sortie du territoire syrien se passe sans encombre, mais à l’entrée au Liban se pose à nouveau le problème du visa. En effet quand le policier observe mon passeport, il me montre mon ancien visa et me fait remarquer (avec ce bon sens émouvant que partagent tous les gardes frontières): “Tu ne peux pas rentrer au Liban… car tu n’en es pas sorti!” En effet, contrairement à ce que je pensais, lors de mon évacuation par l’armée française je n’avais pas eu de tampon de sortie du Liban. Je leur explique ma situation, et là encore je sens de la sympathie pour mon cas. Mais que faire? Une fois de plus je me retrouve à passer dans des couloirs miteux, des bureaux décrépis, pour finalement me retrouver de l’autre côté, au niveau du bureau de sortie du Liban. Et le plus sérieusement du monde, on me fait remplir une fiche de sortie du territoire que valide un tampon sur mon ancien visa. Après un nouveau passage par les coulisses du poste frontière, je suis de nouveau au bureau d’entrée où j’obtiens finalement mon visa.
Le Liban. Enfin! Torturé, violenté, brisé. Si beau, si faible. Trop de passé et cette crainte sourde de ne pas avoir d’avenir. Dans ces pages je m’efforce de garder mon objectivité et ne pas sombrer dans le mélo. Mais cela serait mentir que de ne pas dire à quel point l’émotion m’envahit quand j’y retourne enfin. Et alors que je traverse uniquement les régions les moins touchées, les traces de destruction ne tardent pas à se montrer (les premières que je vois vraiment en fait). Dès après la frontière, la route est perforée de cratères que les habitants ont déjà comblés à la hâte (deux jours après la fin des combats!) mais qui ralentissent considérablement notre allure. Nous dépassons des files de camions citernes qui apportent enfin de l’essence et du fuel. Nous empruntons l’autoroute côtière mais bien vite nous devons nous rabattre sur l’ancienne route, car des ponts importants ont été détruits, dont on devine les ruines dans la nuit noire. A Tripoli nous avons échangé la Mercedes noire contre une vieille Merco défoncée (je sais c’est la même marque, mais rien à voir…) qui est plus adaptée à l’état des routes. Il est un peu plus de une heure du matin, et je commence à somnoler.
Quand je rouvre les yeux, nous sommes “déjà” à Beyrouth et c’est moi qui guide mes accompagnateurs vers mon appartement. Arrivé chez moi, je constate que rien n’a changé depuis mon départ et je me dirige vers mon réfrigirateur. Il reste une bière, qui m’a attendu patiemment pendant ce long mois. Je vais sur ma terrasse, face à la mer et je m’assois sur ma banquette de coussins arabes. Me voilà de retour.
[la suite dans l’article suivant, Retour au Liban (II) ]
[…] [suite du récit de mon retour au Liban, lire d’abord Retour au Liban (I) ci-dessous] […]
Bravo, je profite de la présence d’Antoine et Coralie pour te lire sur mon ordinateur, et j’en suis ravie.. Ton témoignage et ta façon de l’exprimer m’intéressent beaucoup. J’aimerai que tu me mettes sur ta liste afin de recvoir la suite même si Antoine et Coralie ont regagné leur “home sweet home” Amitiés et courage, tu fais un vrai travail… un peu plus que celui d’un reporter !
Claire